En décembre dernier les écologistes ont voté contre le budget de la préfecture de police de Paris. Vous découvrirez ci-après l'Intervention de Raphaëlle Remy-Leleu au nom du Groupe écologiste lors du Conseil de Paris de décembre 2020 relatif au vote du budget de la préfecture de police de Paris.

-------------- Mme Raphaëlle RÉMY-LELEU.- Merci, Madame la Maire.
Monsieur le Préfet de police, cher.e.s collègues, nous examinons aujourd’hui le budget spécial de la Préfecture de police de Paris. Un budget spécial du fait de la situation institutionnelle exceptionnelle que représente la Préfecture de police, mais spécial aussi en cette année à cause de la crise sanitaire et sociale. C’est un budget de crise pour la Ville, que nous avons débattu préalablement. Mais concernant la Préfecture de police, la nature même de ses missions fait de chacun de ses budgets un budget de crise. Une succession de crises à laquelle la Préfecture de police peine à répondre, à une notable exception près. Je parle bien entendu de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Le budget de la brigade représente 71 %, un peu plus du budget spécial. Au-delà de l’effort financier conséquent, c’est aussi l’occasion pour nous de remercier l’ensemble des femmes et des hommes qui s’engagent pour nous protéger.
Le Groupe Ecologiste de Paris a eu l’occasion à de multiples reprises d’exprimer sa gratitude à la brigade. Mais comme la gratitude seule ne suffit pas, il s’agit également de concrétiser notre soutien en finançant pour 2021 la deuxième année du plan de modernisation. Améliorer les conditions de vie et d’exercice des pompiers était devenu une véritable urgence. Nous pouvons être fier.e.s des avancées en la matière. Ces dernières années, la brigade assurait bien plus d’interventions que son dimensionnement ne devait le lui permettre. La baisse d’activité très relative due à la crise sanitaire a conduit la brigade à une forme de retour à la normale. C’est dire si nous devons accompagner son développement pour être à la hauteur de son expertise et de sa performance.
J’en profite pour remercier également le général Gontier et ses services pour l’organisation de la commission consultative de gestion de la brigade des sapeurs-pompiers. Le 23 novembre dernier, grâce à leur présentation claire de l’activité de la brigade et de sa traduction financière, nous avons pu avoir des débats éclairés ayant abouti à un vote favorable et unanime pour le budget de la B.S.P.P.
Le Groupe Ecologiste de Paris a ainsi demandé à dissocier le vote du budget de la B.S.P.P. et de la protection civile du reste du budget spécial, afin de conserver cette belle unanimité. Cela revient à voter pour le chapitre 921 en fonctionnement : sécurité et salubrité publique, et en investissement pour le chapitre 901 : sécurité civile. Mais, pour la suite, le budget spécial ne saurait être résumé aux actions de la B.S.P.P. et de la protection civile. Le vote de ce budget est l’acte éminemment politique qui consacre la répartition des missions et des responsabilités entre les collectivités et la Préfecture de police, pour assurer non seulement la sécurité des Parisiennes et des Parisiens, mais aussi celle des habitants et habitantes des 123 communes de petite couronne ainsi que des départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. En cela, le rôle des Conseillers et Conseillères de Paris dépasse ici largement la frontière du périphérique. Le vote de ce budget engage notre responsabilité collective, et du côté de la Préfecture de police, c’est là que le bât blesse.
D’abord, sur le pilotage des services. Déjà, l’année dernière, la Ville avait choisi de stabiliser sa participation au financement des administrations parisiennes. La proposition faite pour 2021 est de diminuer la contribution de fonctionnement de la Ville, exception faite de la B.S.P.P. Sans aller jusqu’à proposer un dialogue de gestion, les élu.e.s ont demandé à de multiples reprises la mise en place d’une méthode de pilotage de ces services, qui concourent à l’exercice des compétences municipales de police. J’en veux pour preuve l’invitation répétée à de véritables échanges en 3e Commission, ou la demande de disposer d’outils communs d’analyse. Cela devrait être le cas, via les indicateurs que vous évoquez, Monsieur le Préfet de police. Ces indicateurs, s’ils correspondent à une forme de parallélisme avec la ligne du programme 176 du budget de l’Etat, sont très hétéroclites. Je tenais à vous en donner 2 exemples.
L’indicateur de la deuxième mission, quatrième action : "On découvre ainsi que le nombre de dossiers de dissolutions d’associations permet d’évaluer l’amélioration de la qualité de service aux usagers". Alors que nous avons beaucoup salué la mobilisation des associations pendant la crise, c’est un véritable manque de perspective et également un terrible signal.
J’en viens à mes petits préférés, les indicateurs de la troisième mission, deuxième action : "Communication et relations publiques. Pour 2,80 millions d’euros, disposer comme outil d’évaluation du taux d’engagement sur Facebook et du nombre d’impressions des "tweets", c’est extrêmement faible. Cette faiblesse résume d’ailleurs la pratique de la Préfecture de police depuis plusieurs mois : communiquer en permanence sur des chiffres, des arrestations, des démantèlements, des opérations en cours, sans aucun recul, sans aucune prudence.
Ces exemples sont piochés parmi des dizaines d’indicateurs. Certains sont très pertinents, mais pour la grande partie d’entre eux, nous n’avons pas de renseigné pour l’année 2020 et nous sommes sans projection pour l’année 2021. La transparence financière ne peut pas être simplement de présenter aux représentantes et représentants l’ensemble des lignes allant de l’équipement des véhicules d’intervention jusqu’aux sèche-cheveux. Difficile d’être tenu comptable des orientations politiques contenues dans ce budget sans dialogue préalable et précis. C’est là que nous en venons à vous, Monsieur le Préfet, à votre responsabilité.
Sachez d’abord que je suis heureuse d’avoir l’occasion de m’adresser directement à vous aujourd’hui. Il faut dire que notre première tentative d’échange s’était soldée par un échec. En juillet dernier, le Groupe Ecologiste de Paris vous adressait une question grave. Elle faisait suite à la blessure d’un jeune homme dans le 18e arrondissement, éborgné par un tir de L.B.D. Vous n’avez pas souhaité y répondre. Vous avez échappé à vos responsabilités en sortant de votre devoir de réserve et en invitant ce Conseil à une "standing ovation" en forme de diversion. Dont acte.
En 1872, Arthur Ranc déclarait : "A la Préfecture de police, on regarde passer les préfets avec une parfaite sérénité d’âme, parce que l’on sait qu’ils ne changent rien au fond des choses". C’est pourtant avec inquiétude que nous vous avons vu arriver à la Préfecture de police. Une inquiétude nourrie des expériences passées, de l’analyse de la stratégie de maintien de l’ordre que vous avez déployée à Bordeaux, par exemple. Car les choses changent quand vous arrivez. On peut caractériser ces changements : c’est la réaction. Quelques exemples encore. Il y a quelques jours, des représentants de la Ville de Paris célébraient aux côtés de l’UNEF, d’autres syndicats étudiants et organisations de jeunesse, la mémoire de Malik Oussékine, tué en 1986 par des voltigeurs. Dès votre arrivée, en mars 2019, vous avez ressuscité l’un des pires souvenirs de la stratégie de maintien de l’ordre à la française, en installant les BRAV-M.
On peut également évoquer les démantèlements des campements en repoussant les réfugiés aux portes de Paris. Mes collègues auront l’occasion de revenir longuement sur la manière indigne dont a été gérée ladite évacuation de la place de la République. Nous pouvons aussi évoquer et débattre de votre stratégie de maintien de l’ordre : nasse, stratégie du pourrissement et de l’épuisement, utilisation abusive des lacrymogènes, y compris aux pieds des têtes de cortèges syndicaux, interventions brutales devant les lycées parisiens, déploiement des canons à eau sur une foule statique, comme encore samedi dernier.
J’en terminerai sur les arrestations arbitraires qui font encore aujourd’hui le plaisir du décompte du Parquet de Paris. Car vous communiquez pour prétendre à l’efficacité. Samedi encore, 142 interpellations annoncées, dont une majorité ne fera pas l’objet de poursuite judiciaire. Plutôt qu’assurer l’ordre, vous mettez en danger, vous nourrissez les divisions, accentuez les tensions dans l’espace public. Vous fondez votre stratégie, non pas sur la désescalade, mais sur la peur. La doctrine qui est la vôtre, ce n’est pas de mieux protéger les manifestants et les manifestantes, ce n’est pas de mieux protéger les forces de l’ordre ou les structures et les commerces alentour, c’est dissuader et intimider. Ces choix sont les vôtres et ne sont pas plus acceptables qu’efficaces.
Monsieur le Préfet, votre fonction a souvent été décrite comme une véritable clef de voûte permettant d’assurer la sécurité de toutes et de tous, et de préserver votre institution. Or, votre manière d’occuper ces fonctions fragilise votre institution et la sécurité de toutes et de tous. Nous ne confondons pas votre personne avec celle des agents et des agentes auxquels vous commandez. Nous leur renouvelons notre confiance et les remercions pour leur engagement, les soutenons face aux conditions de travail dégradées. C’est parce que nous savons faire cette distinction que nous savons qui doit prendre ses responsabilités. Nous ne pouvons pas le faire pour vous, Monsieur le Préfet. Nous prendrons donc les nôtres en votant contre le reste de ce budget spécial. Nous ne vous faisons pas confiance pour assurer la sécurité de la population, pas plus que celle de vos agents et agentes. C’est pourquoi nous espérons et nous nous mobilisons pour que vous soyez bientôt remercié d’une tout autre manière.
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